L'intermédiation financière au Cameroun au centre des enjeux économiques
Par Idriss Linge - 23/09/2009
Joseph MBOUOMBOUO NDAM est économiste et auteur d'un livre sur le sujet. Il nous éclaire.
Un plan d'action pour le renforcement de l'intermédiation financière (PARIF) a été proposé au ministre des Finances pour redynamiser le secteur de l’intermédiation financière. Ce plan formule un ensemble de propositions qui devraient permettre de rendre plus effective l’action de ce secteur d’activité sur l’économie du Cameroun. Pour nous éclairer sur le sujet, Joseph MBOUOMBOUO NDAM répond à nos questions. Il a publié "Banque contre microfinance, les enjeux de l’intermédiation financière dans la zone CEMAC". Il est directeur du cabinet Universal Finance Consult.
Qu’est ce que l’intermédiation financière et quelle est son rôle dans une économie ?
L’intermédiation financière définit le rôle de tampon que les institutions financières jouent entre les agents économiques à capacité de financement et les agents à besoin de financement. Il s’agit d’un mécanisme d’ajustement des positions contraires dont la dimension varie suivant les approches. Dans son approche primaire, on verra l’intermédiaire financière uniquement comme le distributeur de crédit à partir de l’épargne préalablement collectée. L’objectif est de pallier aux nombreux risques d’une rencontre directe entre les épargnants et les emprunteurs. Les deux parties s’ignorent complètement et l’intermédiaire financière polarise tous les risques. Il doit en outre être capable de répondre à première sollicitation aux demandes de retrait des épargnants. La loi des grands nombres est son principal atout qui lui permet d’avoir toujours assez de liquidité pour satisfaire les demandes de retrait. A côté de cette intermédiation dite "de bilan", s’est développée au cours des dernières décennies, une intermédiation dite "de marché" rendue nécessaire par le développement de la finance moderne. Ici, les demandeurs et les offreurs de capitaux sont censés avoir un contact direct, dans la mesure où celui qui veut par exemple placer ses économies en bourse, choisir librement la société émettrice des titres qu’il va acheter. Cependant, de nombreux formalismes sont nécessaires, qui requièrent l’expertise des banques devenues courtiers pour leurs clients sur les marchés financiers. Cette évolution de l’intermédiation financière n’occulte cependant pas sa fonction basique qui est d’assurer la mise à disposition de l’épargne au service de l’investissement dans les meilleures conditions de sécurité et de rentabilité pour les épargnants.
Il y a quelques semaines se sont tenus les travaux de restitution du plan d’action pour le renforcement de l’intermédiation financière (PARIF) au Cameroun; quelle appréciation faites vous de cette nouvelle initiative du gouvernement dans ce domaine?
Cette initiative procède du souci des pouvoirs publics à favoriser la prise des risques par les banques dont l’importante trésorerie a du mal à se mettre au service de l’économie. On ne peut qu’apprécier, en espérant que les recommandations que nous souhaitons pertinentes du panel constitué seront vraiment opérationnalisées, au lieu de demeurer au stade de belles déclarations d’intention. Une rencontre sur les mêmes préoccupations a déjà été organisée il n’y a pas longtemps (3 ans, je crois) et les banques sont restées tout autant frileuses. Il est même à ce jour des institutions de microfinance qui se déclarent en excédent de trésorerie dans une économie à besoin structurel de financement. C’est la preuve que le mal est plus profond qu’il n’y parait et qu’il faut aller au delà des habituelles injonctions aux banques pour examiner tous les paramètres de l’activité bancaire (cadre juridique surtout en matière de recouvrement, système de garanties, ratios prudentiels, facturation des services bancaires, etc.)
Qu’est ce qui explique le succès des filières informelles de financement telles que les tontines sur les filières officielles comme les Banques et les Etablissements de Micro Finance (EMF)?
C’est justement l’absence de formalisme de ces intermédiaires atypiques auxquels il faut ajouter les usuriers malheureusement très actifs dans les basses couches de la population. La prise de décision est très rapide, basée sur l’empathie qui existe entre le demandeur et l’offreur. Mais il convient de relativiser en ressortant les limites de ces circuits qui sont la faiblesse des montants alloués ou la brièveté des termes (parfois quelques jours à peine) qui conservent à l’intermédiation officielle toute son importance
Parmi les textes restitués sur le PARIF, se trouve ceux sur "le capital risque" ou le "crédit documentaire". De telles options peuvent-elles fonctionner valablement dans un contexte où la confiance fait défaut ?
Le capital risque est une forme de financement qui consiste pour l’établissement financier à injecter des fonds dans une affaire en difficulté dont elle prend le contrôle. Lorsqu’elle aura redressé l’affaire, elle la revendra en réalisant une plus-value. Quand au crédit documentaire, il est une sorte de financement différé, demandé par un acheteur national au bénéfice de son vendeur étranger. La banque de l’acheteur (et subsidiairement celle du vendeur) interviennent pour résorber les nombreux blocages du commerce international (différence de langue, de monnaie, de juridiction…). J’ai du mal à comprendre comment des crédits spécifiques pourraient résoudre le problème général du crédit. J’attends de lire les textes dont vous parlez pour comprendre dans quel sens le PARIF voudrait utiliser ces deux instruments pour booster l’intermédiation financière.
Qu’est ce qu’il faudrait vraiment faire pour redynamiser les filières officielles d’intermédiation financière, et faire de ce secteur un véritable outil de développement?
Une nouvelle restructuration bancaire semble nécessaire pour vraiment domestiquer l’objectif des banques et l’orienter vers le financement de l’économie nationale. Je milite pour un retour de l’état dans le capital des banques pour en orienter les décisions, empêcher que les excédents de trésorerie ne soient transférés aux maisons-mères, veiller à une meilleure justice en matière des rémunérations entre nationaux et expatriés. Les EMF qui ont une meilleure maîtrise de la technologie pour prêter (et se faire rembourser) par les secteurs redoutés des banques (agriculture, secteur informel…) doivent être mieux soutenus, le droit de recouvrement qui a beaucoup plus tendance à protéger le débiteur que le créancier doit être revu. Voilà quelques unes de nos propositions.
Joseph MBOUOMBOUO NDAM, directeur du cabinet Universal Finance Consult
Source:Journalducameroun.com
Babissakana: "Le Cameroun est à l'abris des fonds vautours"
Par Idriss Linge - 01/09/2009
L'économiste camerounais répond à nos questions sur les fonds vautours
Lors d’un sommet qui s’est tenu en Tunisie le 29 juin dernier, les Pays Membres Régionaux (PMR) de la Banque Africaine de Développement (BAD) ont finalement mis sur pied la Facilité africaine de soutien juridique, un organe chargé de les soutenir et les assister face à l’agression de plus en plus présente des Fonds Vautours. Quelle appréciation faites vous de cette réponse de la BAD face à ce phénomène ?
La mise en place effective de la Facilité Africaine de Soutien Juridique avec le parrainage et le sponsoring actifs de la Banque Africaine de Développement est une réponse pertinente mais seulement d’appoint à un besoin structurel des gouvernements africains en matière d’expertises et de compétences juridiques et judiciaires spécialisées dans la négociation, la renégociation, l’exécution et la résolution des litiges sur les contrats commerciaux et financiers internationaux complexes. Deux aspects spécifique de ce besoin structurel ont été mis en avant par l’ ALSF : (i) l’assistance technique des pays africains bénéficiaires de l’initiative sur l’allègement de la dette extérieure (PPTE) à faire face aux litiges avec les créanciers commerciaux non coopératifs, et (ii) l’assistance technique dans la négociation/renégociation de contrats commerciaux complexes en l’occurrence dans les industries extractives des ressources naturelles et dans les infrastructures ou les industries en réseaux (électricité, télécommunications, ports, chemins de fer, routes).
Il faut savoir que le besoin d’assistance technique dans la résolution des litiges avec les créanciers commerciaux non coopératifs dans le cadre du traitement de la dette publique extérieure des pays africain a été exprimé depuis 2003 par les ministres africains des finances. En effet, des 40 pays bénéficiaires ou susceptibles de bénéficier de l’allègement de la dette publique extérieure, 33 sont africains. C’est donc l’Afrique qui est la plus touchée par les actions croissantes de recouvrement contentieuses portées par les créanciers non coopératifs avec en majorité des fonds d’investissement spéculatifs spécialisés sur le marché secondaire de la dette souveraine des pays en défaut de paiement (fonds vautours). Les statistiques disponibles indiquent pour ces dernières années près d’une trentaine de procès avec des jugements en faveur des fonds vautours pour un montant supérieur à 1 milliards de $US dont plus de 70% qui concernent les pays africains. La réalité devrait être plus agressive que ces statistiques parcellaires.
Mais il ne faut pas perdre de vue sur le fait fondamental et critique selon lequel le management public structurellement lacunaire que l’on observe dans les cycles de négociation, renégociation, exécution et résolution des litiges sur les contrats commerciaux et financiers internationaux complexes est intimement lié aux défaillances de gouvernance politique des pays africains. Si l’intégrité, la compétence éthique et morale, la transparence et la responsabilité continuent de faire défaut dans les systèmes de gouvernance politique de nos pays, alors un besoin structurel des gouvernements africains en matière d’expertises et de compétences juridiques et judiciaires spécialisées restera latent malgré l’existence de cette nouvelle institution internationale.
© Journalducameroun.com
Babissakana, économiste reputé sur les questions de finance au Cameroun
En 2007 dans un article paru dans le journal le Messager l’information avait été rapportée que le Cameroun était victime de ces Fonds. Qu’en est-il exactement aujourd’hui ?
Le stock de la dette extérieure commerciale de l’Etat du Cameroun due à 76 créanciers du Club de Londres a été arrêté au 31 décembre 2000 à 953,5 millions $US soit 341 millions $US de principal et 612,5 millions $US en intérêts et pénalités de retard. Cette dette commerciale en défaut de paiement représentait seulement 4% du stock total de la dette publique extérieure.
Le 4 août 2003, le gouvernement camerounais a signé un accord de rachat de sa dette commerciale à 14,5% de sa valeur faciale avec 54 des 76 créanciers correspondant à 80% du stock de la dette au 31 décembre 2000. Cependant, 22 créanciers représentant environ 20% du stock de la dette soit 240 million $US dont 78 millions de principal avaient refusé de coopérer dans une logique de traitement comparable aux créanciers publics et déclinés l’offre de rachat. Parmi les 22 créanciers commerciaux non coopératifs, quatre (4) avaient engagé des actions contentieuses de recouvrement auprès des juridictions pour un montant de 158 millions de $US. Il s’agissait de : Winslow Bank, Del Favero SPA, Sconset Ltd., et Grace Church Capital. En début 2005, Winslow Bank a pu recouvrer 50 millions $US en saisissant les dépôts de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) en France et Del Favero SPA a saisi le compte de l’Ambassade du Cameroun à Londres.
Par la suite le Gouvernement du Cameroun à travers la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) a réussi à négocier à l’amiable avec l’ensemble de ces créanciers suivant le principe des traitement comparable pour lequel il s’était engagé dans le cadre de l’accord avec le Club de Paris. Il restait suivant mes dernières informations sur la question deux (2) créanciers résiduels avec lesquels les négociations devaient aboutir en fin 2008.
© static.slate.fr
Vautour, animal qui se nourrit des carcasses
Le Cameroun possède t-il des moyens propres de défense pour se protéger contre une attaque éventuelle de ces Fonds?
Si les négociations avec les deux derniers créanciers commerciaux ont été bouclées en fin 2008 ou début 2009, le risque d’attaque des fonds vautours est négligeable ou même inexistant. Au 31 mars 2009, suivant les données de la CAA, la dette publique du Cameroun était de 1 377 milliards de FCFA soit 433 milliards de FCFA de dette intérieure et 944 milliards de FCFA de dette extérieure. La dette extérieure se décompose en dette multilatérale 286 milliards de FCFA, en dette bilatérale 657 milliards de FCFA et dette commerciale 1 milliards de FCFA.
Dans une récente communication gouvernementale, le ministre des finances est revenu sur l’emprunt effectué par le Cameroun auprès du FMI pour le justifier, apportant ainsi une réponse à la lettre initiée par vos soins invitant le nouveau chef du gouvernement à suspendre cette démarche. Pensez vous réellement que le Cameroun puisse résorber tout seul les problèmes liés à la crise actuelle ?
L’objectif de ma lettre de réforme au nouveau Premier Ministre était double : dénoncer la manière cavalière de se ré-endetter auprès du FMI après 20 ans d’ajustement et surtout inviter le chef du gouvernement camerounais à ne pas s’engager dans un nouveau programme de stabilisation économique avec le Fonds pendant que nous avons besoin d’un programme de relance économique susceptible d’impulser une mutation indispensable de notre système productif.
Il faut savoir qu’un emprunt au FMI de 92,85 millions de DTS (144,1 millions de $US le 2 juillet 2009) ne peut fondamentalement rien apporter à la résolution des problèmes majeurs actuels de l’économie camerounaise. D’ailleurs, même en y ajoutant les 152,8 millions de DTS dont vient de bénéficier le Cameroun (comme tous les autres 185 pays membres du FMI) dans le cadre des allocations générale et spéciale des DTS qui ont été approuvées par le conseil des gouverneurs du FMI le 13 août 2009, la problématique économique critique du Cameroun n’est pas effleurée.
La crise financière et économique internationale constitue à la fois une menace et une véritable opportunité. Du fait d’un management de type passif et réactif découlant d’un système de gouvernance politique désuet et inadapté, le gouvernement n’est resté que focalisé sur la menace en termes de baisse des recettes d’exportations découlant de la chute des produits de quelques filières. Pourtant, cette crise internationale (depuis son déclenchement en 2007 et son accélération en 2008) est une opportunité sans précédant, à saisir par un pays comme le Cameroun, pour impulser la mutation radicale et profonde de son système productif en vue d’enclencher un nouveau cycle de croissance économique forte et de progrès social rapide.
En tout état de cause, ce qu’il faut garder à l’esprit est que c’est pas en s’accrochant au FMI, institution spécialiste de la macroéconomie, qu’un pays peut opérer les mutations économiques et sociales structurelles qui sont indispensables pour sont progrès. C’est n’est pas non plus une affaire d’emprunt de quelques maigres DTS ou dollars.
source: Journal Du Cameroun.com
Que devra espérez l’Afrique ?
Depuis l’éclatement de l’Empire soviétique suivi du déclin et de la mort de sa doctrine idéologique le socialisme, l’économie mondiale est rentrée dans une logique économique unipolaire à savoir le capitalisme dont les vertus sont prônées arrogamment par ses chantres issus des pays occidentaux.
Les pays africains d’obédience marxiste léniniste se sont ralliés dès le début des années 1990 à la rame triomphante du capitalisme sous la houlette des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) et de leurs programmes d’ajustements structurels.
Ces deux institutions dès leur création, ont eu pour rôle de garantir la stabilité du système monétaire international par la libre convertibilité des monnaies, le suivi des politiques économiques et monétaires des pays membres ainsi que la direction de la gouvernance financière mondiale en vue de la libéralisation des échanges entre tous les pays du monde. De ce fait, ces institutions dotées de hautes compétences en matières économiques et financières, jouent le rôle de régulateurs de l’économie et la finance mondiales. Leur importance se sent de plus en plus lors de l’occurrence des crises financières et économiques dont la gestion des chocs asymétriques ne peut être assurée de façon efficiente par les pays touchés. C’est notamment le cas de la crise de l’énergie des années 1970, de la crise asiatique de la décennie 1990 et de la toute dernière crise financière qui a pour corollaire la crise économique.
Mais ce rôle de gardiens du temple n’est pas une sinécure, car plusieurs dynamiques sont en lutte pour l’émergence de solutions adéquates. Les contradictions internes, les querelles d’écoles, la préservation des intérêts narcissiques, et la lutte pour une hégémonie au sein du système donnent lieu à des arbitrages dont les résultats sont les décisions des sommets. Le présent article qui vise à montrer les approches de solutions du dernier sommet du G 20 , qui est une mutation du traditionnel G 8 face à la crise financière, mettra d’abord en exergue, le rôle du capitalisme dans cette crise, et s’appesantira ensuite sur les réponses du directoire mondial. Plus spécifiquement, il s’agira pour nous d’analyser ces réponses à la lueur des attentes et des espérances des pays du tiers monde.
Le capitalisme et la crise financière mondiale
Le capitalisme moderne est caractérisé par la mondialisation qui a induit une certaine dématérialisation de la monnaie qui circule à la vitesse des connexions des systèmes de paiement interconnectés et une accentuation du rôle des marchés financiers ayant connu une démultiplication des produits offerts.
Le rôle des marchés des produits financiers dans l’occurrence de la crise
Au préalable, il faut définir le capitalisme comme un système fondé sur la propriété privée, la libre entreprise et « la dictature du marché ». Intrinsèquement, le capitalisme portait en lui-même les germes de la crise. La dérégulation optimale et la liberté exponentielle laissée aux entrepreneurs ajoutées à l’égoïsme et l’avidité de l’être humain ont entraîné la machine capitaliste dans un engrenage fou, dont la crise financière a servi de cran d’arrêt. Cette crise est survenue par un essoufflement des marchés boursiers induits par l’éclatement des bulles spéculatives du secteur immobilier et des produits financiers dérivés.
Cet article qui se veut à la portée d’un grand nombre n’entrera pas dans les arcanes de la haute finance et de l’économie pure. Mais, il a pour but de permettre à ceux qui se posent des questions sur la crise financière abondamment relayée dans les médias de trouver une approche de réponse à leurs interrogations.
Cela dit, de façon basique, un bref aperçu du système de fonctionnement des banques et institutions financières s’avère nécessaire pour la compréhension de ladite crise. De nos jours, pratiquement tout le monde a un compte à la banque, mais tout le monde ne sait pas que les banques sont soumises à une contrainte de liquidité puisqu’il leur faut en toutes circonstances satisfaire les demandes de remboursement, qu’elles soient le fait de leurs clients ou qu’elles résultent des paiements à l’extérieur. C’est une obligation absolue, une banque qui ne rembourserait pas sa dette à vue lorsqu’elle en est requise serait défaillante et entrerait dans un processus dont le terme est la liquidation ou la restructuration. En résumé, une banque pourrait se trouver dans deux positions : la solvabilité et l’illiquidité . Pour faire face à cela, les banques ont mis sur pied depuis longtemps, des techniques pour se prêter et s’emprunter les unes aux autres la liquidité. La Banque centrale joue un rôle cardinal dans ce système car elle assure sur le plan national, le bouclage de la liquidité bancaire. Au niveau du marché interbancaire, s’il y a manque de confiance ou pénurie de liquidité, les banques sont de ce fait livrées à elle-même, celles initialement liquides sont mises sous pression et font défaut, ce qui induit la crise bancaire, les faillites, l’arrêt du crédit et par ricochet l’asphyxie de la vie économique.
Pour ce qui est de l’actuelle crise financière, une multitude d’institutions financières ont été contraintes de reconnaitre qu’elles détenaient un ensemble de produits de crédits à très haut risque (actifs toxiques ) qui, de surcroit, n’étaient pas suffisamment couverts. Une méfiance généralisée s’est installée entre les banques qui ont dès lors refusé de poursuivre l’octroi mutuel de crédits. Ces crédits interbancaires, pourtant vitaux pour le secteur financier car ils permettent aux institutions financières d’accorder les pics et chutes de leurs obligations de paiement et ainsi de toujours disposer des liquidités en suffisance.
Dans le même temps, les pertes comptables par conséquent éprouvées ont débouché sur la vente inéluctable d’actifs qui, à son tour, a résulté en une spirale négative de nouvelles pertes et ventes. La crise du marché hypothécaire américain s’est ainsi transformée en une crise générale de liquidités et de solvabilités sur les marchés financiers. Cette situation donnant elle-même lieu à un krach et une débâcle des bourses qui touchent les institutions financières et monétaires (fonds souverains, compagnies d’assurance, réassureurs, fonds de pension, fonds de couverture). Il en résulte enfin un tumulte monétaire qui s’est propagé au monde entier du fait de la mondialisation. Ce tumulte n’épargne pas les pays africains qui sont également touchés sur plusieurs plans. (Ralentissement des Investissements Directs Etrangers, dépréciation des cours des matières premières, crise alimentaire.)
Mais, face aux conséquences de cette crise, il s’est avéré que ni les Etats-Unis, ni leurs affidés du G 8 ne peuvent trouver une solution pérenne. Le système de régulation mondiale régentée par l’hyper puissance américaine a de ce fait élargi le cercle de réflexion aux autres puissances économiques à fort PIB pour juguler la crise.
L’insuffisance des mesures nationales et le nécessaire recours au directoire mondial
Dans la quête de solutions pour résoudre cette crise financière qui a mis au KO technique le système capitaliste et a sapé la confiance des investisseurs et des citoyens lambdas qui se ruent sur les banques pour retirer leurs avoirs et revendre leurs titres au niveau des places boursières, les USA ont commencé par renflouer leurs grandes institutions monétaires et financières (AIG, FANNY MAE et FREDDY MAC) ainsi que les fleurons industriels (GENERAL MOTOR, CHRYSLER..). Le même phénomène a été observé en Europe, par la nationalisation de la banque NORTHEN ROCK par le Royaume-Uni et le rachat de FORTIS et d’ABN AMRO par le gouvernement néerlandais. La forme des mesures nationales qui visent exclusivement la préservation de l’épargne nationale est identique dans le monde occidental. Elle se résume en l’injection massive de capitaux publics et dans certains cas de nationalisations totales afin de rétablir la solvabilité chancelante des banques et/ou assureurs concernés. C’est également l’Etat au travers de la banque centrale qui solutionne l’épineux problème des crédits interbancaires asséchés. Cela passe par l’accord d’une garantie du gouvernement, qui permet de restaurer la confiance entre les institutions du système financier. Cet état de choses a été d’autant plus important qu’il a permis d’induire une apparente confiance dans le système, chose qui a eu pour corollaire la fin des séries de dépôt de bilan. De ce fait, les banques centrales nationales qui assurent également la stabilité de l’économie et le maintien d’un niveau élevé d’emplois ont joué à merveille leur partition. Toutefois, la généralisation des plans de relance nationaux a entraîné l’éclosion de mesures de protection, toute chose qui est interdite dans le cadre de la libéralisation du commerce et des échanges mondiaux. Cela s’est traduit par un nouveau nationalisme économique et le collectivisme ou un mix des deux.
Mais, au regard de l’insuffisance de ces mesures nationales et des dangers qu’elles recèlent, l’Union européenne sous la présidence de Sarkozy a adopté une décision qui vise à coordonner les efforts sectoriels en vue du la résolution de cette crise. En effet, il est apparu nécessaire d’adopter des mesures mondiales et globales face à une crise de portée mondiale. C’est dans cette perspective que le traditionnel G 7 s’est saisi de la gestion de cette situation. Les réflexions qui ont commencé depuis un certain temps ont été ensuite intégrées dans un cadre normatif par les négociations qui ont précédé la tenue du sommet du 2 avril 2009 où les chefs d’Etats ont adopté une série de mesures visant à refonder le capitalisme débridé en y insufflant une certaine dose d’éthique et de morale sans oublier la régulation qui était considérée jusque là comme un sacrilège.
Après cet aperçu des tenants et des aboutissants de la crise financière mondiale, la partie suivante a pour objet de s’appesantir sur les grandes décisions de ce sommet, ainsi que ses incidences sur l’Afrique qui est durement touchée par une crise qu’elle n’a pourtant pas provoquée.
Les résultats du G 20 et ses incidences
La conséquence majeure du sommet de Londres est la refondation du capitalisme par l’élaboration d’un nouveau cadre normatif destiné à assainir les milieux financiers et à sauvegarder l’équilibre financier mondial. Dans cette foulée, que peut espérer l’Afrique au regard de ses questions existentielles à savoir l’annulation du fardeau de la dette, le rééquilibrage des termes de l’échange, l’insertion dans le commerce mondial et l’injection des capitaux qui manquent cruellement pour accompagner l’action vers la quête du développement économique ?
Les résultats sont ils à la mesure des fortes attentes de cette grande messe ?
L’Afrique doit retenir une leçon du processus de gestion de cette crise. Sur un plan stratégique, il convient de relever que l’Union européenne, outre sa représentation par les Etats traditionnels du G7, est également représentée en tant qu’organisation supranationale au sein du G 20. Cette double représentation lui a permis de peser d’une façon décisive sur les options à retenir, la conduite des négociations ainsi que la rédaction du communiqué final. Cette prééminence dudit vieux continent est salutaire pour les européens car elle leur permet de se fondre en bloc au cas où les positions individuelles ne recueilleraient pas l’assentiment des autres parties.
L’Europe a suffisamment démontré avec l’introduction de l’euro que la réponse à la crise financière internationale ne réside pas tant dans des mesures conjoncturelles exceptionnelles d’urgence, mais dans des réformes structurelles comme la définition d’un nouveau cadre financier international contraignant. Sans sa monnaie unique, une vingtaine de monnaies seraient aujourd’hui terriblement sous pression. La leçon est qu’il faut créer des mécanismes politiques et de contrôle de grande envergure, c'est-à-dire transnationaux, sur beaucoup d’autres terrains de la vie économique et financière. Les européens avant le sommet ont adopté cette position au sein de leur union. Ils ont également intégré au niveau de l’agenda des négociations, la nécessité d’assurer une meilleure surveillance du système financier mondial par des autorités de régulation à l’instar de la pratique au sein des Etats.
De façon synthétique, le sommet de Londres est allé dans la direction voulue par les européens à travers les quatre orientations décisives suivantes : de l'argent ; de nouvelles règles ; des institutions internationales renforcées et l'admission des pays émergents à la table des pays riches. Par contre un sujet majeur qui finira par rattraper la communauté financière internationale n'a pas été abordé : les grands déséquilibres monétaires, budgétaires et commerciaux, qui sont aussi à l'origine de la crise.
Dans le détail, au titre des mesures, nous pouvons citer premièrement le renforcement des moyens et pouvoirs des institutions internationales et la mobilisation de moyens pour éviter la syncope financière avec un chiffre colossal de 1 000 milliards de dollars (745 milliards d'euros) supplémentaires à injecter dans l'économie mondiale. Le FMI va ainsi voir ses moyens tripler à 750 milliards, 250 milliards de dollars supplémentaires seront consacrés au financement du commerce et à la relance des échanges mondiaux, et 100 milliards de dollars accordés aux banques de développement. Les banquiers centraux vont eux voir les pouvoirs de leur Forum de stabilité financière (FSF) renforcés. Cette organisation, invitée à détecter les risques financiers, va se muer en une « Organisation mondiale de la finance », selon l'expression de M. Sarkozy. Dans cette lancée, les paradis fiscaux ont été mis à l'index. Il a été enfin retenu l’accentuation du contrôle pour les fonds spéculatifs sans oublier l’élaboration d’un nouveau cadre comptable après Bâle.
Deuxièmement, la prise en compte de la mondialisation dans les organes de décision. Une nouvelle conception des rapports de force est à l’œuvre où les pays émergents ont leur place au sein du directoire mondial et peuvent jouer leur participation. Malheureusement cette entrée dans le club ne donne pas lieu à tous les droits. Les pays émergent ont accepté un renforcement des moyens du FMI sans obtenir immédiatement les droits de vote auquel leur poids économique leur donne droit. Cet aspect de la question fera l’objet d’un article à part entière dans une autre parution.
Enfin, il faut regretter l’absence de discussion sur les déséquilibres monétaires, budgétaires. Ce thème fâcheux, qui concerne les souverainetés financière et monétaire ainsi que les taux de change a été subrepticement éludé. La question des finances publiques qui devrait porter sur l’assainissement du cadre macroéconomique avec des actions structurelles à long terme garantes de stabilité et de croissance a été purement et simplement ignorée. Car cela ne sert à rien de faire des dépenses supplémentaires sans pour autant rétablir les équilibres budgétaires gages d’une croissance saine et stable.De tout ce qui précède, il est aisé de remarquer que l’Afrique a été une fois encore mise de côté.
Que peut alors attendre l’Afrique de ce sommet ?
La grande leçon pour les africains est la sous représentation confirmée et l’absence de prise en compte de ses questions existentielles. Le seul représentant du continent en l’occurrence l’Afrique du sud n’a joué qu’un rôle de figurant. La majeure partie des pays africains, grands ou petits ont été tout simplement absents. Comment peser dans cette situation sur des décisions qui engagent leur avenir ? L’institution panafricaine d’intégration régionale, l’Union africaine était absente, contrairement à l’Union européenne qui jouit d’un statut de membre à part entière et par ricochet d’une double représentation.
L’annulation de la dette n’a pas fait l’objet des débats et ce sont plutôt les altermondialistes occidentaux qui ont été les porte voix de l’Afrique dans les rues de Londres. Ceci dénote du peu d’influence et de l’attentisme qui caractérisent les Etats africains. Pendant que les pays riches et leurs associés émergents se dépêchaient avec une célérité remarquable pour juguler la crise financière - porteur de récession et de dépression-, l’Afrique observe passivement la situation. Ce faisant, ils ont pris des mesures visant exclusivement à sauvegarder leurs intérêts en vue de préserver leur prédominance dans l’ordre économique actuel.
La marginalisation africaine dans le commerce mondial, la faiblesse et la raréfaction des investissements directs étrangers, l’amaigrissement de l’aide publique au développement ainsi que le règlement des questions relatives aux crises récurrentes (économique, alimentaire…) sont autant de sujets capitaux qui ne pouvaient pas être abordés par une Afrique du Sud esseulée.
Les esprits non avertis vont se réjouir de l’augmentation du capital du FMI en pensant que cela permettra au continent d’avoir accès à plus de ressources. Mais nenni, l’augmentation du capital du Fonds n’a pas été suivie de l’augmentation du poids de l’Afrique au sein des institutions de Bretton Woods. Nous y reviendrons avec plus de détail dans un autre article.
Conclusion
Le dernier sommet du G20 au lieu des grandes messes habituelles destinées à se réunir autour de la table pour des décisions en « petite teinte» a eu pour mérite de poser les bases d’une refondation du capitalisme. D’une part la configuration de l’organe qui est élargie aux pays émergents d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine permet à ces derniers de se prononcer sur les décisions qui engagent leurs destinées. Par leur introduction dans ce directoire mondial, ces pays ont ainsi pu participer de façon marginale et « vaine» à la défense de leurs positions diversifiées face aux positions unifiées de l’Europe et des Etats-Unis.
D’autre part, avec la récente crise qui a montré les limites du capitalisme à occidentale, car il convient de le préciser, les pays du G 7 sont tous en période de récession ou de dépression économiques, certains pays émergents ont su montrer la voie d’un nouveau capitalisme porteur de certaines valeurs. Les prévisions de l’OCDE présagent pour 2009 une décroissance de -1,5% doublée d’un recul du commerce mondial de -9%. Il faut y ajouter une aggravation du chômage qui connaîtra dans le monde développé une expansion avec un nouveau contingent de plus de 50 millions d’actifs. Avec cette crise, la Chine connaîtra tout de même un taux de croissance à un chiffre contrairement aux chiffres doubles des trente dernières années et deviendra du même coup la seconde économie mondiale juste derrière les Etats-Unis. La leçon de cette situation est que les peuples, les pays et les Nations sont les maîtres de leurs destinées. L’Inde, la Chine, la Turquie et les nouveaux membres du club des 20 ne doivent leur situation qu’à leurs efforts.
Le constat affligeant est qu’au niveau de l’Afrique, les hommes politiques qui ont le devoir d’initiative ne prennent toujours pas conscience de la situation et se complaisent dans la situation d’éternels assistés. Au lieu de penser à élaborer des plans de relance dignes de ce nom pour résorber les multiples crises auxquelles le continent est confronté, et opter pour une stratégie d’indépendance, les dirigeants africains se confortent dans leur immobilisme béat et espèrent les vaines retombées d’un sommet qui a été conçu pour régler les problèmes des « autres » et non les leurs.
On assistera indubitablement à un tarissement de la manne de l’aide publique au développement car les pays riches qui rechignaient à accorder les 0,7 % de leurs PIB au mépris de leur propre engagement, feront encore des coupes sombres dans cette rubrique budgétaire en vue de se concentrer davantage sur le financement de leurs plans de relance respectifs.
Le pessimisme n’étant pas une bonne vertu, j’ose formuler le vœu suivant : après plus d’un demi siècle de mendicité et de marginalisation progressive, l’Afrique doit prendre conscience de sa situation de « gavroche » mondiale et s’atteler à utiliser rationnellement ses maigres ressources tout en œuvrant pour tracer son chemin dans ce monde dont elle est de plus en plus marge.
Par Théophile M. KPAYAGBE
Master en Economie internationale et intégration européenne à l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble
Licencié en Diplomatie et Relations Internationales de l’Université d’Abomey-Calavi
Spécialiste de l’information de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Bénin
Cadre de la Caisse Autonome d’Amortissement
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